Professional article: Featured in Le Monde on Web Robinson
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Le Monde me cite dans ses articles "Télétravail de l’extrême: Gauthier Toulemonde au premier jour" et "« Ma volonté est de faire de façon un peu inédite la promotion du travail à distance »". Ces articles portent sur l'expédition Web Robinson de Gauthier Toulemonde.Pourquoi l’expérience de Gauthier Toulemonde intéresse la recherche
« Depuis sa première expédition, Gauthier s’est mis en tête de repousser sans cesse les frontières du télétravail. Il lui fallait partir le plus loin possible, sur une île déserte. Il lui fallait se couper du monde, alors même que la difficulté principale du télétravail est l’isolement social. Ce jusqu’au-boutisme m’a séduit, explique Jean-François Stich, enseignant-chercheur en comportement organisationnel et en ressources humaines à l’ICN Business School.
Le désir de télétravail trouve souvent racine dans d’autres désirs, comme l’autonomie, l’équilibre vie privée-vie professionnelle ou la solitude. Ce qui m’a frappé dans mes entretiens avec Gauthier, c’est qu’au sien se mêlent des désirs féroces d’aventure et d’autosuffisance. Web Robinson ne fait pas rêver seulement les internautes qui désirent s’évader du bureau, mais aussi celles et ceux qui recherchent davantage d’aventure, de simplicité, ou qui veulent s’évader tout court »…
L’expédition Web Robinson a intéressé le chercheur dès ses débuts en 2013. « Je menais alors une thèse sur le stress au travail causé par les interactions virtuelles, et par les emails notamment, explique-t-il. Le stress des interactions virtuelles provient surtout du fait de ne pouvoir interagir de la manière désirée. « Je reçois trop d’emails », « il n’y a pas assez de contact humain », « je n’en peux plus de cet outil »,… Tout est question d’adéquation entre nos désirs, nos compétences, et la réalité à laquelle nous sommes confrontés. Si 95 % des télétravailleurs sont satisfaits de leur mode de travail, c’est peut-être parce que ce sont eux qui en font la demande ».
Extrait de Télétravail de l’extrême: Gauthier Toulemonde au premier jour. Le Monde. 14 mars 2017
Jean-François Stich, enseignant-chercheur en comportement organisationnel et en ressources humaines à ICN Business School explique qu’une première dépendance resurgit, celle à la technique. Face à un problème technique, il faut trouver seul la solution. La deuxième dépendance, plus problématique pour un nomade est qu’une fois sur une île, on ne s’en échappe plus. Le télétravailleur assimile l’île à son lieu de travail, qu’il ne quitte donc jamais. Par la force des choses, le lion est de retour en cage…
Extrait de « Ma volonté est de faire de façon un peu inédite la promotion du travail à distance ». Le Monde. 9 mars 2017
Ci-dessous, la chronique que j'ai fait parvenir à Gauthier et au Monde pour servir de support à leur article.
La grande évasion du télétravailleur nomade
L’expédition Web Robinson a suscité mon enthousiasme de chercheur dès ses débuts en 2013. Je menais alors une thèse sur le stress au travail causé par les interactions virtuelles, et par les emails notamment. Le stress des interactions virtuelles provient surtout du fait de ne pouvoir interagir de la manière désirée. « Je reçois trop d’emails », « il n’y a pas assez de contact humain », « je n’en peux plus de cet outil », … Tout est question d’adéquation entre nos désirs, nos compétences, et la réalité à laquelle nous sommes confrontés1. Si 95 % des télétravailleurs sont satisfaits de leur mode de travail2, c’est peut-être car ce sont eux qui en font la demande.
Le thème du désir est omniprésent dans le télétravail, et très particulièrement dans l’expédition de Gauthier. Pour celles et ceux qui se sentent prisonniers du bureau, de l’open-space ou du métro-boulot-dodo, le télétravail devient une échappatoire désirable, si leur emploi leur permet. Ils sont nombreux, étant donné que 73 % des employés de bureau expriment le désir de télétravailler3.
S’évader du bureau, mais pour aller où ?
Parmi les 47 % qui obtiennent le sésame – l’accord de leur hiérarchie – pour s’évader du bureau comme ils le désirent, reste à décider de la destination. Ceux trop attachés aux rigolades entre collègues et aux machines à café trouveront leur compte dans les tiers-lieux et espaces de coworking4.
Pour les autres en quête de tranquilité, l’aventure se poursuivra au domicile. Mais là-bas s’y ajoutent souvent les tâches ménagères et l’omniprésence familiale, ce qui n’est pas du désir de tout le monde. Je m’en satisfait parfaitement, mais pour ces lions en cage – comme pour les épouses d’après-guerre, comparait la sociologue féministe Ursula Huws5 – la maison devient une prison de laquelle il faut s’évader à nouveau.
Partir télétravailler toujours plus loin
Depuis sa première expédition, Gauthier s’est mis en tête de repousser sans cesse les frontières du télétravail. Il lui fallait partir le plus loin possible, sur une île déserte. « Je pars, c’est décidé, et plus rien ne m’arrêtera », m’annonce-t-il, déterminé. Il lui fallait se couper du monde, alors même que la difficulté principale du télétravail est l’isolement social6. Ce jusqu’au-boutisme m’a séduit.
Le désir de télétravail trouve souvent racine dans d’autres désirs, comme l’autonomie, l’équilibre vie privée-vie professionnelle ou la solitude7. Ce qui m’a frappé dans mes entretiens avec Gauthier, c’est qu’au sien se mêlent des désirs féroces d’aventure et d’auto-suffisance. Web Robinson ne fait pas rêver seulement les internautes qui désirent s’évader du bureau, mais aussi celles et ceux qui recherchent davantage d’aventure, de simplicité, ou qui veulent s’évader tout court.
Peut-on vraiment échapper au travail ?
En 2013, Gauthier part télétravailler pendant 40 jours sur une île déserte coupée du monde. Et cela fonctionne. « J’ai dû balancer plus de 600 ou 800 mails », constate-t-il. Il parvient donc à y travailler, à y survivre, à s’y retrouver. Ses salariés semblent également s’y retrouver, alors qu’il aurait pû être démotivant pour eux de voir le patron prendre le large8. A leurs interactions face-à-face se substituent toutefois des interactions virtuelles. Une première dépendance resurgit, celle à la technique. Face à un problème technique, il faut trouver seul la solution, et « quand on est confronté à la solitude, on trouve toujours des solutions », me confie-t-il. Sauf quand la Nature décide de couper internet à Gauthier, qui constate que « tout d’un coup vous débranchez, et plus rien. Ceux que vous aviez en face de vous disparaissent. »
La deuxième dépendance, plus problématique pour un nomade comme Gauthier, est qu’une fois sur une île, on ne s’en échappe plus. Il s’est vu rattrapé par le même phénomène qu’il cherchait de toutes ses forces à fuir. « J’assimilais l’île à mon lieu de travail, que je ne quittais donc jamais », finit-il par admettre. Par la force des choses, le lion était de retour en cage.
Je suivrai sa prochaine aventure avec intérêt, car le désert dans lequel il reproduira l’expérience n’aura plus les limites de l’île. Je lui souhaite de ne plus s’y enliser et d’y repousser davantage encore les frontières du télétravail, car si même Web Robinson ne parvient à s’évader du bureau, qui le peut ?
Références
- Voir mon site www.jfstich.com dans lequel je détaille davantage ma recherche académique.
- OBERGO (2015). Télétravail salarié : Comment concilier liens de subordination et marges de liberté ?
- Tour de France du télétravail (2012). Infographie grande enquête télétravail 2012.
- Stich, J.-F. (27 mars 2014). L’entreprise archipel, futur refuge des travailleurs nomades. Orange Jobs.
- Huws, U. (2003). The making of a cybertariat: Virtual work in a real world. NY: Monthly Review Press.
- Mulki, J., Bardhi, F., Lassk, F., & Nanavaty-Dahl, J. (2009). Set Up Remote Workers to Thrive. MIT Sloan Management Review, 51(1), 63–69.
- Stanek, D. M., & Mokhtarian, P. L. (1998). Developing models of preference for home-based and center-based telecommunting: Findings and forecasts. Technological Forecasting and Social Change, 57(1), 53–74.
- Golden, T. D., & Fromen, A. (2011). Does it matter where your manager works? Comparing managerial work mode (traditional, telework, virtual) across subordinate work experiences and outcomes. Human Relations, 64(11), 1451–1475.